mais autrement?
Illustration du journal La Papilotte en 1830
Caricature représentant l'état maladif de l'économie Française dans les années 1830 - Journal La Papillote

L'épidémie de choléra de 1834

Le 3 avril 1832*, la présence du choléra est officiellement reconnue à Calais, mais en réalité les premiers cas sont constatés vers le 15 mars 1832.

Établi par certains médecins, nié par d'autres, le choléra-morbus donne lieu à la plus grande foire d'empoigne de tout le pays. Tout est dit et son contraire. Contagion ou infection, remèdes, les médecins se déchirent, affirment et pourtant méconnaissent.

La situation à Calais

Dans sa « Notice historique et médicale sur le choléra-morbus épidémique de Calais, depuis la fin de mars 1832, jusqu'en juillet suivant », [1] Léonard Fulcrand Gasté, médecin de l'hôpital et des douanes de Calais nous apporte la preuve des contradictions du corps médical et minimise pour sa part les cas de "vrai" choléra.
La commission sanitaire de la ville, face à ces contradictions, crée un conseil de santé (formé de docteurs en médecine ou chirurgie, officiers de santé et pharmaciens de Calais).

Le conseil de santé crée à son tour différentes commissions chargées avec l'autorité publique municipale d'inspections relatives à la salubrité publique et concernant :

  1. Le séjour de l'eau dans les fossés et le curage des égouts;
  2. le lavage journalier des ruisseaux;
  3. le nettoiement des rues du Courgain;
  4. l'évacuation de plusieurs caves reconnues inhabitables;
  5. le blanchissage à la chaux de plusieurs autres;
  6. la distribution du chlorure de chaux offert par la société d'agriculture;
  7. la séquestration de certains animaux vaguant en ville;
  8. la défense de la pêche des moules dans l'arrière-port;
  9. la visite domiciliaire, et des établissements d'instruction publique;
  10. l'assainissement de l'abattoir;
  11. la demande d'un établissement spécial pour les cholériques et les ouvertures de corps.

Gasté nous explique avec force détails que seul le Courgain est affecté par l'épidémie et nous en donne les raisons. Un distinguo est fait par la suite quand il s'agira d'expliquer les cas de "choléra confirmé" dans la garnison, chez les agents des douanes et chez des habitants des villages voisins.

une ruelle étroite avec des maisons collées les unes aux autres

Une rue du Courgain à Calais - collection F.Dubois

L'origine de l'épidémie de 1832

Endémique depuis plusieurs siècles dans le delta du Gange en Inde, le choléra atteint le Caucase et l’Anatolie en 1823, mais l'hiver rigoureux qui sévit cette année-là empêche sa prolifération. En 1826, une nouvelle épidémie gagne la Russie, la Pologne puis l’Europe de l’Ouest par les mers et le choléra-morbus fait son apparition en Angleterre en décembre 1831. Il arrivera en France, et là encore les avis divergent, par Calais à cause d'un passager anglais malade ou par le Département de la Seine.

La France a suivi la progression du choléra-morbus, Louis-Philippe a envoyé des médecins enquêter. Dès le mois d’août 1831, des mesures préventives sont prises comme au niveau des villes, la création de commissions sanitaires ou encore la quarantaine dans les ports. Et les médecins qui viennent de rappeler les progrès de l'hygiène et de la salubrité dans le pays réfutent toute idée "d'invasion" au vu de ces mesures.

Certains affirment comme le baron Dominique-Jean Larrey,[2] chirurgien inspecteur, membre du conseil de santé des armées :
"La situation topographique de la France est si avantageuse, qu'on a peu à craindre de l'introduction dans cette contrée du choléra-morbus ou de toute autre épidémie pestilentielle."

 

caricature anti cholerique

Caricature anti cholérique - éditeur AUBERT.B - lithographié par BENARD J.F- 1832

 

Contagion ou infection ?

Le choléra est-il une maladie contagieuse ou une infection ? C'est la question qu'en 1832 se posent les médecins. Depuis le Moyen Âge, le principe de contagion s'est imposé en France et dès qu'une épidémie atteint les frontières du pays, des mesures sont prises pour isoler les personnes atteintes afin d'éviter la propagation de la maladie.

Dans son article paru dans un numéro du magazine Population,[3] René le Mée nous rappelle la controverse médicale opposant :
- les infectionnistes qui imputent l'existence de la maladie à des miasmes se développant dans les lieux insalubres et circulant grâce à des conditions climatiques particulières,
- les contagionnistes, qui privilégient l’hypothèse d’une contamination entre individus par un germe spécifique encore inconnu.

Tous s'accordent cependant sur le fait que le taux de mortalité est nettement plus élevé dans les quartiers populaires où les plus défavorisées, s’entassent dans des logements surpeuplés et insalubres. Les années qui suivent verront l'émergence de l'hygiénisme, qui met en relation hygiène, moralité et santé publique. Le choléra quant à lui, frappera à nouveau en 1854, en 1866 et en 1884 et même en 1892 au Courgain.

Il faudra attendre 1854 pour que Filippo Pacini découvre le vibrion recourbé, agent responsable du choléra, découverte qui se perdra dans une des bibliothèques de Florence et sera republiée en 1924.
En 1883, Robert Koch isole et identifie un bacille incurvé qu'il nomme Kommabacillus, Vibrio comma ou bacille virgule et démontre le rôle de l'eau comme agent transmetteur de la maladie. En 1965, la bactérie est renommée Vibrio cholerae Pacini, en hommage à Filippo Pacini.

portrait des deux hommes

Robert Koch et Filippo Pacini - source Wikipedia

 

Une dimension politique

Un hiver rigoureux, des récoltes médiocres les années précédentes, le chômage et l'augmentation du prix du pain suivis de l'épisode des Trois Glorieuses ont laissé un souvenir encore vif dans les mémoires à Paris. Et la situation ne s'est pas améliorée pour une population en détresse, première victime du choléra. Partout les études sur les ravages de l'épidémie montrent que les pauvres meurent plus que les riches et entre peur, controverses médicales et charlatanisme, les esprits s'échauffent. Les classes sociales s'accusent mutuellement : les bourgeois dénoncent une maladie du peuple qui les menace par contagion et les ouvriers accusent les autorités et le gouvernement de tentative d'empoisonnement visant à les éliminer.

L'épidémie décroît à partir de juin, puis baisse continuellement à compter de la fin du mois d'août. Le 1er octobre 1832, l’épidémie est enfin considérée comme éteinte.

À Calais pourtant, ce n'est qu'en avril 1833* que le maire, M. Leveux, annonce la régression de l'épidémie qui règne sur le Courgain. Il prend soin de préciser que seuls les habitants de ce quartier, qu'il désigne comme de pauvres gens vivant dans des souterrains malsains, ont été contaminés. [4]

Françoise Dubois

 

Notes et références


  • * Les amis du vieux Calais – Fonds Robert Chaussois
  • [1] F.J.V Broussais - Annales de la médecine physiologique - tome 22 page 35 - (1832) nouvel onglet
  • [2] M.le Baron Larrey - Mémoire sur le choléra-morbus (1831)
  • [3] René le Mée - «le choléra et la question des logements insalubres à Paris(1832-1849)» - Population -Année 1998 53-1-2 pp. 379-397
  • [4] Le Dr Casté détaille pourtant dans sa notice, les soins donnés à plusieurs soldats cholériques, à la population intra-muros, à des habitants des villages voisins; il y déclare aussi avoir diagnostiqué des cas de "cholérine", se refusant à les appeler choléra.
  • A.M Maitre et Gérard Ducable - Louis-René Villermé et le choléra en 1832
  • Fabienne Chevalier -  Le choléra de 1832 Passion égalitaire et question sociale

 

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