mais autrement?
Richard Wallace, fontaine à cariatides, fontaine en applique
Sir Richard Wallace - © National Portrait Gallery, London

Sir Richard Wallace

Un généreux bienfaiteur

1872 - Un britannique, attaché à Paris et à l'Art décide de faire don de 50 fontaines à la ville. Il s'agit de Richard Wallace. Les bombardements, le conflit franco-prussien suivi de l'épisode de la Commune, ont mis à mal les infrastructures parisiennes. Le prix de l'eau flambe et il est plus facile pour la population de se procurer de l'alcool. Héritier d'une grande fortune, Richard Wallace décide d'offrir un accès gratuit à l'eau pour les plus démunis. Il imagine une fontaine devant correspondre aux critères suivants1 :

  • être assez grande pour être visible de loin, mais pas trop pour ne pas rompre l'harmonie du paysage,
  • avoir une forme à la fois pratique d'utilisation et esthétique,
  • être d'un prix abordable pour permettre l'installation de dizaines d'exemplaires,
  • être réalisée dans un matériau résistant, facile à travailler, et commode d'entretien.

Cette fontaine doit servir à se désaltérer et donc distribuer une eau potable, non stagnante. Sa hauteur empêche les chiens d'y boire et l'espace réduit entre les cariatides ne permet pas aux chevaux de s'y abreuver.

Les différents modèles de fontaine

À la page 500 de son catalogue "Fontes d'Art pour décoration", la fonderie du Val d'Osne nous présente les deux modèles de fontaines offertes à la ville de Paris par Richard Wallace :
- Le modèle à cariatides,
- le modèle en applique.

Le premier est caractérisé, entre autres détails, par quatre femmes, les cariatides, supportant le dôme de la fontaine. Elles ont, dit-on, été inspirées à Lebourg par la Fontaine des Innocents de Jean Goujon et les Trois Grâces de Germain Pilon. Elles représentent à la fois une vertu et une saison : bonté, simplicité, charité et sobriété.
Le second modèle a été fondu à 10 exemplaires; un filet d'eau sort de la bouche d'une naïade et s'écoule dans une vasque marine.

puce Un sculpteur oublié

Si Richard Wallace en fait l'esquisse, c'est à Charles-Auguste Lebourg, sculpteur nantais, qu'il confie la réalisation du prototype des fontaines. Ce sculpteur, R.Wallace le connaît, il a déjà réalisé des bustes en marbre pour la famille Hertford 2 et réalisera celui de Madame Wallace.
Élève d’Amédée Ménard, sculpteur réputé à Nantes et professeur aux Beaux Arts de Paris, puis de François Rude, prix de Rome, c'est un artiste très productif et de nombreuses œuvres égrènent son parcours. Pour en citer quelques-unes :

  • La Force, sculpture en pierre, Paris, décor du Palais du Louvre.
  • Éole, 1876, bas-relief terre-cuite, Nantes, musée des Beaux-Arts.
  • La statue équestre de Jeanne d’Arc, face à la basilique Saint-Donatien et Saint-Rogatien.
  • les Génies de la Chasse et de la Forge, 1857, commande de l’Etat pour le Palais du Louvre
  • La Prêtresse d'Euleusis, 1874, statue en marbre, Musée d'Arts.
  • Berger, statue en marbre, galerie des cerfs, Château de Fontainebleau
  • la Ville de Nantes, sculpture, façade ouest de l’Hôtel de Ville de Paris.

Le public n'en retiendra que les fontaines Wallace et malgré une œuvre abondante, Charles-Auguste Lebourg n'atteindra pas la notoriété et mourra miséreux et oublié en 1906.

Les fontaines de Calais

puce D'où viennent-elles?

En 1888, Ida Marie Hickey veuve de Charles Demotier 3, lègue à la ville de Calais, à son décès, la somme de 8000 francs. Cette somme doit servir à l'achat et l'entretien de quatre fontaines du style des fontaines Wallace. Mais bien qu'elle décède en 1888, c'est seulement en 1893 qu'un contrat est signé entre M.Dewavrin, maire de Calais et M.Susini, directeur de la Compagnie des Eaux. Le contrat est précis, il s'agit d'installer des fontaines conformes au modèle de la Maison Durenne 4.

puce Où étaient-elles situées?

Selon le vœu de la légataire, deux fontaines doivent être installées dans le Parc Richelieu, la troisième Place du Marché-aux-Herbes et la quatrième au Courgain Maritime. Son souhait est pratiquement respecté sauf pour la deuxième fontaine qui est installée sur le trottoir à l'angle de la rue Richelieu, toute proche du parc.

puce Que sont-elles devenues?

Ces fontaines ont été installées en 1893. En 1910, nous savons grâce à Paul Villy qui date son cliché, que celle située Place du Marché-aux-herbes est toujours présente et en bon état. Idem pour celle du Courgain, présente encore lors du naufrage du sous-marin Pluviôse le 26 mai 1910. Vers 1930 par contre, ça n'est plus le cas. Cette dernière a perdu son dôme, il semble qu'un personnage manque, quant aux chaînettes et gobelets, le modèle initial n'en proposait pas.

La fontaine dans les années 1930 - source Médiathèque de Calais

Une photo des bombardements (circulant en ligne) montre la Place d'Armes dévastée avec une fontaine pratiquement intacte. Mais était-ce en 1940 ou lors des bombardements alliés en 1944? Calais Nord était en zone interdite à l'époque.
De la même façon, le parc Richelieu (appelé jardin du front-sud) a été littéralement pulvérisé ainsi que les rues alentour. On est en droit de penser que les fontaines ont subi le même sort. Mais autant il est facile de trouver aux archives municipales toutes les dates de retrait des bornes-fontaines et ce pour chaque rue pratiquement, autant elles se font silencieuses pour les fontaines de style Wallace. Peut-être faut-il chercher dans les dommages de guerre?

puce Mythe ou réalité?

Ont-elles vraiment existé à Calais ces fontaines Wallace? Oui, on en voit les photos me répondrez-vous. La réalité est un peu plus nuancée. Bien que la résolution des photos ou cartes postales ne soit pas optimum, on remarque que le socle, le piédestal et le dôme des fontaines de Calais ne sont pas identiques au modèle Wallace officiel. En ce qui concerne les cariatides, on ne distingue pas le drapé et la position des bras est différente. Il s'agit clairement de fontaines "style Wallace". Madame Demotier n'en demandait pas plus.

Quant à M.Susini, il a respecté le contrat. Cette fontaine de style Wallace a bien été fondue par Durenne. Il s'agit d'une "fontaine aux nymphes et aux amours" ou plus prosaïquement de la "fontaine à boire n°17" du catalogue de 1879. J'en ai d'abord retrouvée la trace à Saint-Denis du Sig en Algérie 5 puis au Parc de Blossac à Poitiers. Mais, Wallace ou pas, on aurait bien aimé retrouver ces jolies fontaines dans les rues de notre ville aujourd'hui.

Une fabrication qui perdure

À Sommevoire en Haute-Marne, la fonderie GHM est depuis le XIXe siècle, la seule habilitée à fabriquer et restaurer les fontaines Wallace.

Les cariatides s'émancipent!

À Nantes, en juillet 2024, à l'invitation de "Le voyage à Nantes", l'artiste Cyril Pedrosa redonne leur liberté aux cariatides en imaginant quatre nouvelles fontaines. Il a décidé de mettre en scène sur ces quatre tableaux leur évasion.

« Ces quatre figures portent le chapiteau de la Fontaine, elles y sont assignées, c’est leur destin éternel. Et je trouvais ça à la fois amusant, doux et aussi politique de proposer que ces femmes s’échappent de leur charge. Ce qui m’intéressait, c’était à la fois de préserver ces figures féminines parce qu’elles font partie de l’objet tel qu’il est et d’essayer justement de me détacher de l’assignation symbolique qu’on donne à ces figures féminines pour essayer de dire autre chose, de proposer plutôt un récit de leur émancipation, de leur évasion » explique ainsi l’artiste.

source Marie Sorbier sur fonderie-piwi.fr

 

Françoise Dubois

 

Notes et références


 

HAMEZ Marie Christine
Bravo une fois de plus pour cet article surprenant et tellement intéressant où je découvre la fabuleuse histoire des fontaines Wallace et de leur promoteur et de Madame Demotier, c'est un hommage mérité qui leur est rendu. La vidéo sur la fabrication Durenne est spectaculaire.


Françoise
Merci Marie Christine,
à savoir que le modèle de" la vraie Wallace" figure aussi dans le dossier des archives municipales. Pourquoi l'un l'a emporté sur l'autre, question de style ou question de coût?

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